Un si beau discours, un répondant qu'elle appréciait, Maxine en était émue, les yeux sanglotant. La discussion qu'elle entretenait avec Baptiste n'avait rien de naturel, et ce n'était pas de son vocabulaire, ce n'était ni elle, ni quelqu'un de sa famille. Comment cette dernière allait d'ailleurs réagir en voyant ces images ? Peut-être qu'au fond, les parents se demandaient ce que ressentait leur fille, leur fille unique. Si elle avait trouvé une épaule, ou un coeur. Ce dernier lui tourmentait sa poitrine, la surélevait à mesure qu'elle parlait, à l'expression figurée. Elle se sentait mal, mais pourtant, elle savait qu'il était impossible que ce garçon, plus jeune qu'elle, l'aime. Sûrement était-il sur une autre habitante, étant donné qu'elle était arrivée plus tard, après. Elle s'en voulait, même, parce que le destin ne pouvait plus rien pour elle. Au fond, elle ne savait plus, elle n'avait aucun moyen de le savoir, si elle était amoureuse, ou si ce n'était qu'une émotion du moment. Il était hors de question de le dire, à personne, même pas au principal concerné, encore pire. Elle n'en avait pas le courage, surtout avec un tel doute. Elle se plongea dans ses pensées, comme bouleversée, avant de se lever, et de se mettre sur un siège en face, allongée sur le ventre. Pourquoi devrait-il supporter tout ce trop plein d'émotions ? Il n'était pas là pour ça. Elle réfléchissait, elle pensait, elle rêvait, elle se foutait de tout, complètement. La seule chose qui l'importait, ce qu'elle vivait présentement, rien d'autre. Le moment inoubliable qu'elle partageait en compagnie d'un inconnu. Un instant magique, qui la révélait. On tournait en rond, on ramait sur le fleuve la vielle barque, malgré tout, on comprenait de mieux en mieux son intérieur, nous extérieur. On la cernait enfin, son attitude, son comportement.
La demoiselle tomba dans un moment de nostalgie, dans sa vie, la sienne. Elle revit chaque seconde en compagnie de sa famille, de sa naissance, à aujourd'hui, avec des endroits flous, des passages coupés par son esprit pour ne pas la traumatiser. Un sourire dessina ses lèvres, celui d'un ange, comme lorsqu'elle était petite, bien longtemps effacé de ce tendre visage. Elle revécut sa jeunesse, comprenant tout le mal qu'elle avait causé derrière elle. Ce silence lui faisait du bien, lui permettait de remettre les choses à zéro, de se rendre compte des coeurs brisés par sa faute. Elle n'en dit rien, se contentant de se lamenter sur son sort, et le sort des autres. Ensuite, elle détailla son physique, comme elle ne l'avait encore jamais fait. Elle ne s'aimait pas. Elle se détestait. C'était peut-être pour cela qu'elle s'habillait aussi bien, pour se protéger des regards, pour ne pas avoir honte d'être elle-même. Son interlocuteur avait raison, sur toute la ligne. On avait deux faces, dont une profondément enfouie en nous. Celle de Maxine lui faisait peur, la terrorisait. Et elle ne s'en était jamais servie dans son passé, elle en avait des remords, beaucoup. Elle n'avait jamais compris tout ces pleures, mais désormais qu'elle se retrouvait dans cette situation, tout lui paraissait clair comme de l'eau nettoyée.
En prenant une profonde inspiration, la jeune femme prononça, d'une voix fine, douce : « Non, Baptiste. Je ne suis pas heureuse, je le sais. Mais je viens tout juste de m'en apercevoir. Une partie de moi s'est envolée, je n'y peux rien, c'est comme ça. Parce que toi, tu penses être heureux ? Tu penses vivre dans une totale plénitude ? Crois-tu qu'il y ait des personnes heureuses ? N'est-ce pas une carapace ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Ce que je peux te dire, c'est que beaucoup de questions tournent dans ma tête, des interrogations énormes, et des ressentis que je n'aimerai m'avouer personnellement, à voix haute. Comme si mes pensées me jouaient des tours, que j'étais ailleurs, morte ». Et son discours s'arrêta subitement. Elle se retourna, ferma les yeux. Si elle mourrait, manquerait-elle au monde, à ses proches ? Ne serait-ce pas un soulagement ? Trop de chamboulements en si peu de temps, de réflexion. Une énergie consommée à grosses gouttes. Elle trembla de froid, s'emmitouflant dans le fauteuil comme elle le put. Elle avait une envie irréalisable. Elle voulait quitter ce jeu, retrouver la réalité, mais n'osait pas. Tout lui paraissait trop dur, même de bouger. Elle était comme prisonnière dans un corps qu'elle ne voulait pas.
Maxine voulait à tout prix retrouver ses airs hautains, son caractère d'ordinaire, mais même avec de la bonne volonté, de la concentration, rien n'y faisait. C'était horrible, il n'y avait rien de plus terrifiant, épouvantable. Elle finit par se râcler la gorge, et continuer, timidement : « Je dois t'embêter, n'est-ce pas ? Je dois te paraître folle, dépressive, je me trompe ? Ecoute, Baptiste, on n'aurait jamais dû faire cette rencontre, pas non plus parler de ce que l'on a dit, ni s'observer. Je n'aurai jamais dû passer par là, pourtant, on me l'a forcé, on m'a conduit à ce terrible destin. Je n'y suis pour rien, en soi, mais quand même. Je t'ai adressé la parole, je me suis emballée, je suis attristée. Vois mon état, sois heureux, profite de mon malheur pour faire le bonheur des autres, parce que je sais que tu en as cruellement envie ! On m'a si souvent insulté, que plus rien ne me fait peur, même pas d'être abandonnée. Je sais que ton désir est de me voir partir, vendredi prochain, de m'humilier, maintenant. J'en suis persuadée. Ce jeu nous change, nous transforme, et moi, ça me fait mal. S'il te plaît, dis-le moi tout de suite, si ce que je dis est vrai. Dis-moi par pitié que tu t'es servie de moi, pour me rendre ridicule, avec ces si beaux discours. Dis-moi que j'ai rêvé. Et dis-moi que je t'ai rêvé. Je pensais m'être trouvée un ami capable de me faire devenir quelqu'un d'autre qui me plairait, mais je ne suis plus certaine de le vouloir, ni d'être autrement, ni d'être ton amie. Je ne sais plus, Baptiste, je ne m'en sors plus. Je n'ai jamais vécu ça, et c'est à ce moment-là que je me dis que tous doivent me détester. Je ne suis pas heureuse, non. Je ne m'aime pas. Je ne vois pas ce qui te retient, pars, pars rejoindre les autres, je n'ai rien d'exceptionnel, et ça ne me dérange pas, de rester dans mon coin. Finalement, je me demande pourquoi je suis venue, je me demande même pourquoi je suis née. Après tout, je n'ai rien demandé, moi. C'est ma mère, c'est la faute de ma mère si je suis dans cet état ». Maxine ne se rendait plus compte de ce qu'elle disait, et la rendait folle. Elle finit par lâcher : « Je veux mes clopes ! » C'était bien la seule chose qu'elle aimait, et qui l'aimait.